Une légende canadienne : FIFA+ avec Christine Sinclair

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L’image de Christine Sinclair et de sa médaille d’or olympique restera sans doute comme l’un des plus réjouissantes de l’année écoulée.

Tous les supporters le savent, le football n’est pas toujours juste ; il arrive fréquemment que le talent ne soit pas récompensé à sa juste valeur. On ne peut donc que se réjouir de voir une footballeuse de ce niveau remporter enfin un titre après lequel elle a si longtemps couru et qu’elle méritait tant de gagner.

Pourtant, à bien y penser, cette médaille d’or ne change en rien sa place dans l’histoire du football, tant sa contribution aura été grande. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 190 buts en équipe du Canada en 22 ans de carrière. Personne, homme ou femme, n’a jamais fait mieux. Mais tous ceux qui ont suivi le parcours de cette joueuse d’exception savent que les records, les récompenses et les distinctions personnelles ne sont pas sa principale source de motivation.

Sa sélectionneuse Bev Priestman évoque volontiers son “incroyable humilité”. Sans doute ce sens du collectif hors du commun a-t-il contribué à construire la légende d’une femme aussi populaire qu’admirée. C’est aussi la raison pour laquelle son sacre au Japon a suscité énormément d’enthousiasme, bien au-delà des frontières canadiennes.

Il faut bien l’avouer, l’image a aussi suscité une certaine inquiétude. La crainte de voir cette buteuse patentée tirer sa révérence sur le beau succès de sa carrière, après deux décennies de tentatives infructueuses, était naturellement dans tous les esprits.

Les Cassandre qui s’attendaient à la voir raccrocher les crampons au retour du Japon ont toutefois négligé plusieurs éléments importants. Ceux qui la connaissent et qui connaissent ses motivations les plus profondes seront moins surpris d’apprendre qu’elle compte bien disputer sa sixième Coupe du Monde Féminine de la FIFA™ en juillet… un mois avant de fêter ses 40 ans.

Dans un entretien à bâtons rompus accordé à FIFA+, Christine Sinclair nous dévoile les raisons de ce choix.


FIFA+ : Christine Sinclair, beaucoup de gens ont été agréablement surpris en apprenant que vous comptiez poursuivre votre carrière internationale. Qu’est-ce qui vous a convaincu de rester ?Christine Sinclair : Je suis en parfaite condition et j’aime jouer au football, tout simplement. Quand je me lève le matin, je n’ai qu’une envie : aller à l’entraînement et aider mon équipe à gagner. Le Covid a repoussé les Jeux Olympiques d’une année et, de ce fait, la Coupe du Monde va venir très vite ensuite. Dans ces conditions, je ne pouvais pas partir. J’ai eu des échanges très francs avec Bev [Priestman] et nous prenons les choses comme elles viennent, un mois après l’autre, un stage après l’autre. Mais je ne vous cache pas que j’aimerais faire partie du voyage. La Coupe du Monde est un peu la pièce qui manque à mon histoire.

À l’issue du Tournoi Olympique de Football féminin, Bev Priestman nous avait confié qu’elle cherchait les raisons pour lesquelles le Canada était plus performant aux Jeux Olympiques qu’en Coupe du Monde. Avez-vous une idée à ce sujet ? Je crois qu’il faut chercher l’explication dans le développement du football féminin. En quart de finale, on se retrouve souvent face à des équipes comme la France, l’Allemagne ou les États-Unis. Là, on n’est sûr de rien. Je me suis dit la même chose en regardant l’EURO cette année : à partir des matches à élimination directe, tout se joue sur de petits détails. C’est presque à pile ou face. Il faut de la réussite, aussi. Nous en avons eu aux Jeux Olympiques alors qu’en Coupe du Monde, nous avons perdu des matches qui étaient à notre portée. Mais je connais Bev. Elle nous a dit : ‘Gagner aux Jeux, c’est l’équivalent d’un quart de finale de Coupe du Monde’. Maintenant, il faut se demander comment franchir un palier et rééditer l’exploit. Elle y travaille, en compagnie de ses adjoints. Je suis certaine qu’elle va tout faire pour que nous soyons à notre meilleur niveau le moment venu. Je pense que cette fois, nous procèderons différemment.

À en juger par la façon dont vous avez adhéré à son discours, on imagine que vous avez une totale confiance en elle. Sa précédente collaboration avec John Herdman avait aussi été très fructueuse. Absolument. Je trouve que John a réalisé des choses incroyables. Je l’admire énormément. Bev lui ressemble un peu. Bien entendu, elle a sa propre personnalité et sa propre façon de faire les choses, mais elle possède le même sens du détail et le même goût de l’analyse. Elle ne ménage pas ses efforts pour trouver la petite chose en plus qui fera la différence.

Vous avez évoqué votre avenir ensemble. A-t-elle dû vous convaincre ou l’avez-vous tout de suite assurée de votre envie de continuer ? Non, je n’ai pas eu besoin d’être convaincue. C’est plutôt moi qui lui ai demandé : ‘Est-ce que tu veux encore de moi ?’ Nous avons été très franches, l’une comme l’autre. Je ne veux pas la mettre dans une position difficile et je sais que c’est la même chose de son côté. Mais compte tenu de mon niveau de jeu actuel, je pense qu’il n’y aura pas de problème.

Bev Priestman a déjà eu l’occasion de dire que vous lui facilitiez énormément les choses, par exemple par votre attitude lorsqu’elle vous a remplacée en finale du Tournoi Olympique de Football féminin. Votre réputation au Canada et dans le football féminin en général n’est plus à faire. Faut-il en déduire que vos coéquipières ont désormais plus de valeur à vos yeux ? Je ne vais pas vous mentir : quand je vois mon numéro et que je dois sortir, je ne suis pas contente, mais je ne le montre jamais. Ce serait manquer de respect à mes partenaires, à Bev et à ses adjoints. J’ai déjà beaucoup de chance de passer encore autant de temps sur le terrain et de compter autant de sélections. Il y a des joueuses extrêmement talentueuses qui ne jouent jamais. On n’a pas le droit de se plaindre, dans ces conditions. L’important, c’est l’équipe. Aujourd’hui, nous avons beaucoup d’alternatives à tous les postes. Ça n’était pas le cas auparavant. On l’a vu à Tokyo. Bev n’a pas hésité à faire des changements. Elle a utilisé son effectif très intelligemment. Moi, je veux simplement apporter ma pierre à l’édifice.

Êtes-vous fière d’avoir su évoluer au fil de votre carrière ? Après avoir été une attaquante de pointe renommée, vous vous épanouissez désormais dans un rôle plus créatif. Oui, c’est sans doute l’une des choses dont je suis la plus fière. Le jeu a énormément évolué depuis mes débuts et je suis heureuse d’avoir su changer, moi aussi. Le mérite en revient en grande partie à John [Herdman]. Avant que les faux 9 deviennent à la mode, il a été le premier à me dire : ‘Je pense que c’est là que tu seras la meilleure’. J’ai aussi profité de mon expérience de milieu offensive à Portland. J’ai dû étoffer mon jeu ; je ne pouvais plus me contenter de faire des appels en profondeur et de me trouver à la conclusion. Mon jeu a beaucoup changé depuis mes débuts, en effet.

Vous êtes devenue la meilleure buteuse de l’histoire du football international alors que vous évoluez désormais plus en retrait. N’est-ce pas ironique ? C’est un peu étrange car les buts n’ont jamais tant compté que ça pour moi. Je ne me suis pas trop focalisée sur les statistiques, ce qui m’a sans doute servie. À une époque, je marquais une vingtaine de buts par an avec le Canada sans que nous remportions plus de deux matches. Croyez-moi, je préfère largement la situation actuelle ! Je ne saurais pas vous dire combien de joueuses ont marqué pour nous pendant les qualifications pour la Coupe du Monde, mais le fait est que notre attaque est plus équilibrée maintenant. Ça me plaît beaucoup.

Vous avez parlé de la Coupe du Monde, mais qu’est-ce qui vous motive au quotidien ? Au moment de reprendre le chemin de l’entraînement en début de saison, vous ne vous demandez jamais : ‘Mais pourquoi je m’inflige ça ?’ Non. Franchement, j’aime travailler à l’entraînement. Les efforts ne me font pas peur. Les stages d’avant-saison non plus. Je ne suis jamais satisfaite de mes performances. On n’a jamais fini d’apprendre. J’ai le sentiment de pouvoir encore progresser et chaque jour, je découvre de nouvelles choses. J’aime la compétition avec mes coéquipières. Et puis, tant de gens m’ont dit : ‘Joue aussi longtemps que tu le pourras’… Un jour ou l’autre, je serais bien obligée d’arrêter. Ce n’est pas un métier comme les autres. On ne peut pas se dire : je fais une pause pendant cinq ans et je reprendrai ensuite. Quand c’est fini, c’est fini. Alors, tant que je prends du plaisir sur le terrain et que je suis en bonne santé, je continue.

Comment avez-vous vécu les semaines qui ont suivi les Jeux Olympiques ? Stéphanie Labbé nous confiait avoir ressenti un grand vide, au moins les premiers jours. C’était la même chose pour vous ? Non. Moi, j’ai vécu comme dans un rêve ! Ma famille a organisé une fête gigantesque. À cause de la pandémie, c’était la première fois depuis deux ans que nous pouvions nous retrouver tous ensemble. Il y avait tant de choses à fêter. Ensuite, nous avons disputé plusieurs matches à domicile et nous avons pu fêter ce titre avec nos supporters. C’était un moment très fort. Je n’aurais jamais cru que je gagnerais un jour une médaille d’or avec le Canada. Quand j’aurai raccroché les crampons, je pourrai me remémorer ces bons souvenirs et me dire… [elle regarde une médaille imaginaire] “Hé, c’est vrai… j’ai gagné ça !” Franchement, je trouve ça génial.

L’absence des supporters restera comme la seule ombre au tableau de ces Jeux. La perspective de jouer dans des stades pleins en Coupe du Monde constitue-t-elle un attrait supplémentaire ? Curieusement, je crois que cette absence nous a plutôt aidées. J’ai eu l’occasion de dire que je pensais que notre équipe était faite pour ces Jeux Olympiques du Covid. Ça tient à notre culture et à l’ambiance qui règne au sein du groupe. Nous aimons toutes passer du temps ensemble. L’idée d’être enfermées un mois ensemble dans un hôtel ne nous posait pas de problème. Contrairement à d’autres équipes, ça nous convenait. Normalement, à la fin d’un tournoi, chaque joueuse part retrouver sa famille et ses amis pour faire un peu de tourisme. Nous, nous avons pu fêter ce titre au Village Olympique, sans personne autour de nous. Ces souvenirs sont parmi les plus beaux de ma carrière. Il n’y avait que nous et nous en avons profité pleinement.

À moins d’un an de la Coupe du Monde Féminine, les candidats au titre sont particulièrement nombreux. Cela rend-il la compétition particulièrement attractive ? On est loin de l’époque où la Coupe du Monde était la chasse gardée de l’Allemagne et des États-Unis, avec une ou deux équipes capables de créer la surprise. Effectivement, c’est une motivation supplémentaire. C’est une situation que l’on observe depuis longtemps chez les hommes. J’attends de connaître ça depuis le début de ma carrière. Au fond, j’aime avant tout le football féminin. J’ai envie de la voir grandir et s’imposer. Je suis donc très heureuse de contribuer à son succès. Désormais, tout peut arriver une fois la phase de groupes passée. C’est passionnant pour les concurrentes, mais aussi pour les spectateurs. Donc, oui, je crois que nous allons vivre une très belle Coupe du Monde.

Puisque vous parlez de la Coupe du Monde masculine, impossible de vous laisser partir sans vous interroger sur les ambitions de l’équipe du Canada. Compte tenu de votre admiration pour John Herdman, on imagine que vous attendez de grandes choses… Je crois que nous allons en surprendre plus d’un. Je ne dis pas que le Canada va tout gagner ou que nous allons ramener la Coupe du Monde à la maison, mais je crois que notre niveau de jeu va en étonner certains. Nous avons une belle équipe, avec quelques individualités de très haut niveau. Avec John aux commandes, tout est possible. J’ai hâte de voir ça ! C’est la première fois que je vais pouvoir encourager l’équipe de mon pays en Coupe du Monde. Alors, je ne compte pas bouder mon plaisir !